Selon vous, la réversibilité est-elle une stratégie d’avenir ?
Nous sommes plusieurs à le penser, et je suis même convaincu qu’elle sera bientôt la norme ! L’obligation d’affecter une destination à un bâtiment en amont de sa construction est un héritage des années soixante-dix. Lors de cette période de reconstruction en France, on lançait de grands plans de développement avec des quotas, pour mieux adapter les destinations des bâtiments aux enjeux et besoins de la ville. Or, on peut tout à fait construire sans affectation préalable, et créer des bâtiments réversibles, bien plus adaptés aux évolutions de notre société !
En quoi la réversibilité répond-elle aux enjeux environnementaux ?
On ne détruit pas, donc on évite tous les effets polluants liés à la déconstruction. Aujourd’hui, face aux défis environnementaux, rien ne peut plus justifier qu’on construise sans anticiper l’évolution d’un bâtiment à long terme.
Mais au-delà des enjeux environnementaux, la réversibilité permet aussi de s’adapter rapidement. La pandémie nous a montré l’impermanence des choses. Tout peut se transformer du jour au lendemain, alors pourquoi pas nos bâtiments ? Les constructions réversibles sont simples dans leur structure, elles ne coûtent pas plus cher, et peuvent se transformer rapidement.
Pourtant, construire neuf contribue à l’artificialisation des sols…
Construire du neuf de veut pas forcément dire imperméabiliser de nouveaux sols ! On peut, par exemple, choisir de construire partiellement sur une surface déjà imperméabilisée, et enlever une partie des sols asphaltés, pour laisser le vivant se régénérer.
C’est vrai que la tendance est à la reconversion du patrimoine existant, justement pour limiter l’impact sur les sols, mais la demande en logements est telle qu’il faudra bien continuer à construire neuf.
Ces arbitrages se feront désormais à l’échelle locale, pour aménager les territoires en prenant la mesure de tous les enjeux actuels.
Pourquoi l’obtention d’un permis de construire « sans affectation préalable » sur votre chantier à Bordeaux est-elle innovante ?
Il s’agit du premier permis de construire évolutif, signé par l’État français ! C’est la première fois qu’un bâtiment pourra accueillir deux destinations (logements et/ou bureaux), réversibles à tout moment.
On reste bien sûr dans un cadre réglementaire grâce au « permis d’innover » (loi ELAN 2018). Pour schématiser, on adapte la notice d’urbanisme « en cochant deux cases » plutôt qu’une.
Concrètement, comment ça se passe ?
À tout moment l’affectation peut être changée, sans modifier l’origine du permis de construire. La société / le locataire informe le gestionnaire qu’il souhaite modifier les clauses de son bail. Une convention est ensuite établie avec le locataire, et transmise à la ville et aux services de sécurité.
À quoi ressemblera votre ensemble réversible de Bordeaux ?
Le chantier sera lancé au second trimestre 2023, près du futur jardin de l’Ars, à proximité de la gare de Bordeaux. Il y aura deux bâtiments de 35 mètres de hauteur, reliés par des decks et des terrasses. Au total, cela représente 4 492 m² réversibles, plus environ 1 600 m² d’espaces extérieurs.
Quels sont les principes de construction du réversible que vous avez mis en œuvre ?
Nous avons appliqué et adapté les sept principes de la réversibilité, que nous avions définis en 2017 dans notre étude « Construire Réversible »*.
Par exemple, l’épaisseur des bâtiments sera de 13 mètres, pour faciliter la double exposition et créer des courants d’air. La hauteur de plafond est fixée à 2,70 mètres (plus que la norme), pour avoir plus d’air et plus de lumière.
Les 7 principes du construire réversible, selon l’étude “Construire réversible” de Patrick Rubin
Pour que les espaces soient facilement modulables, nous avons dessiné de grands plans libres, sans murs porteurs, équipés par une structure poteaux-dalles.
Par ailleurs, pour délester l’intérieur du bâtiment, et offrir ainsi une plus grande place à la modularité des espaces, la circulation et la desserte des étages se fera par des pontons et des decks extérieurs. La distribution des réseaux (électriques, eau, air) chemine également par l’extérieur.
Source : “Bordeaux réversible”, Canal Architecture, 2022, p.29
*https://canal-architecture.com/wp-content/uploads/2021/04/2017.04_Construire_Reversible.pdf