L’idéogramme chinois du mot « crise » imbrique deux notions : le danger et l’opportunité. Appliquée à l’urbanisme et aux enjeux écologiques, cette réalité à deux visages comporte une part « positive » et nouvelle : réhabilitation de bâtiments et de friches, circuit court, relocalisation, végétalisation et confort de vie, agriculture urbaine, énergie renouvelable, mobilité douce. Et elle présente également un héritage plus « sombre » : étalement urbain, déprise agricole, artificialisation des sols, îlots de chaleur, perte de la biodiversité, pollution de l’air, engorgement de la circulation.
Cette « crise » doit être pensée sur le long-terme : il ne s’agit pas d’un simple épisode mais véritablement d’un monde nouveau. L’enjeu est d’y rentrer, et de s’adapter aux nouvelles contraintes qu’il suppose.
Plus que l’air du temps : le temps d’une ère nouvelle
Le modèle urbain “carboné” a dominé l’ensemble des choix économiques et politiques pendant des décennies. À grands traits, il s’agissait de construire toujours plus, en utilisant plus de matières provenant de toujours plus loin, et en émettant beaucoup de CO2. Ce modèle n’est plus viable.
Dans la vision d’experts tels que Guillaume Meunier, directeur délégué du bureau d’études Elioth (filiale d’Egis), mais aussi dans les rapports du GIEC ou encore dans les scénarios prospectifs de l’Ademe, la fabrique de la ville durable ne repose plus sur ces pratiques « maximalistes », mais sur des stratégies de sobriété, de proximité et de qualité. Moins de « plus » et plus de « mieux », en somme.
« La ville post-carbone nécessite une vision et une mise en œuvre globales de ce nouveau rapport à la vie en société, par tous les acteurs et, à tous les niveaux », souligne Guillaume Meunier.
Le quartier comme maille pertinente
Construire la ville post-carbone implique une prise de conscience et une mobilisation de tous, des citoyens aux décideurs politiques et économiques. « Depuis peu, les cabinets d’architectes comme les entreprises de BTP disposent d’indicateurs précis sur l’impact de la construction en matière de gaz à effet de serre, poursuit l’expert. Des progrès ont été faits sur la décarbonation partielle des matériaux et des modes de construction HQE (Haute Qualité Environnementale), comme sur l’amélioration énergétique des bâtiments. C’est absolument nécessaire, mais insuffisant, notamment à cause de l’effet rebond – les économies d’énergie générées les premières années sont souvent annulées par un relâchement dans les comportements des utilisateurs ».
Et Guillaume Meunier d’affirmer que l’évolution vers la ville et l’aménagement durable doit être d’ordre culturel et structurel.
En ne raisonnant plus à l’échelle des bâtiments mais en pensant leur mutualisation à l’échelle du quartier, en termes de flux de matière, d’énergies renouvelables, de réseaux de chaleur, de stationnements, d’espaces verts, de services…
En ne recourant plus à la construction systématique de nouveaux bâtiments mais plutôt à leur réhabilitation, rénovation et rehaussement – à ce propos, Guillaume Meunier voit un signe emblématique dans le fait que les architectes Lacaton & Vassal, qui prônent le réemploi du bâti et du « mieux avec moins », se sont vu décerner le prix Pritzker en 2021, récompense qui donne le la dans l’architecture au plan mondial.
Vers une « juste densité » ?
Guillaume Meunier milite pour une nouvelle perception de la densité urbaine. « La surdensité et la sous-densité posent en effet problèmes, par la saturation à un bout du spectre, et le manque de services et de vie sociale à l’autre. La juste densité passe par des bâtiments allant de trois à six ou sept étages, avec le plus possible de balcons, de terrasses, de jardins d’hiver, de toits végétalisés, d’équipements d’énergie renouvelable ».
Les villes devront donc plutôt s’étirer dans la verticalité que s’étaler. Et devront se verdir, tant pour la qualité de vie et l’aspect esthétique, que pour le rafraichissement naturel apporté par l’évapotranspiration des arbres et des plantes. « Cela favorise aussi le retour d’une biodiversité à laquelle les bâtiments peuvent contribuer, par des toitures végétalisées ».
Enfin, l’architecte-enseignant affirme qu’il faut réfléchir à la réintégration d’usines et de fabriques dans les villes : « la ville du futur sera bien plus productive qu’elle ne l’est actuellement, à la fois pour la résilience et pour relancer des échanges vertueux entre territoires », conclut Guillaume Meunier.